Spéciale dédicace au rêve d’Etienne et au cauchemar d’Olivier, mais surtout à Fabrice Luchini dans le film « Jean-Philippe » (et si Johnny n’avait jamais existé.)
Dimanche 19 avril 2020.
Je viens de me lever avec un de ces mal de crâne. Pourtant, comme les prévisions étaient à la pétole, on n’a pas visé l’aube et il est déjà huit heures. Je n’aurais jamais dû boire cette Leffe hier soir afin de m’aider à trouver le sommeil. Ce n’est pas tant son degré d’alcool qui me donne des regrets (j’ai une descente qui me ferait peur en vtt), mais plutôt ses vertus diurétiques. Petit besoin nocturne (je n’ai plus vingt ans…depuis trente-sept ans) et pour ne pas réveiller ma petite femme : tout à l’aveugle. Malheureusement, le tapis autour de la cuvette n’est pas trop le copain de Gilbert Montagné et le petit lave-mains, son ennemi juré. Je récolte donc un magnifique souvenir au beau milieu du front qui depuis mon lever est déjà passé du jaune sale au vert.
Le petit déjeuner englouti, je m’enquiers, comme tous les jours depuis un mois que nous sommes confinés, de la santé de mes parents par téléphone. Tout va toujours bien et comme ils me rassurent, je pousse ma petite plainte, comme j’ai déjà ennuyé tout mon voisinage et le restant de la famille et belle-famille avec nos faux problèmes : « On n’aura sorti la planche qu’une fois cette année, pfff ». Ma mère me console en me disant que si on ne travaille pas, on ne s’habille pas et que de ce fait on fait des économies de repassage. Hein ? Hier elle avait l’air bien, pourtant. Je n’insiste pas car elle approche des quatre-vingts ans et mon père les a passés.
Cela fait un mois que je suis chez moi et pourtant, ce matin, j’ai l’impression d’être ailleurs.
Déjà, en me levant, la pile des Spécial Tests de Wind et Planchemag n’encombraient plus ma table de chevet. Je ne me rappelais pourtant pas les avoir rangés, et où ?
En raccrochant, mon regard est attiré par le mur du hall d’entrée (que certains d’entre vous connaissent) : nos petits cadres sertissant méticuleusement nos modestes exploits windsurfesques de ces trente dernières années sont toujours bien accrochés, mais où sont les premiers bords de Matilda sur le lagon de Saint-François sous les regards goguenards de François Guibourdin et Martial Suédois ? Où est passé mon magnifique demi-jibe en bord de plage, avec cheveux, à Tobago. Et le bord à donf sur un centimètre d’aileron dans l’Aber-Benoît ? Et la plus belle : Matilda en quatre mètres et septante-six litres survolant de face le gros clapot d’Herki ? Je n’en crois pas mes yeux : tout a disparu ! Affolé, je demande à Matilda ce qu’elle a fait des photos de planche. « Je ne t’ai pas demandé de faire des photos de planches, mais bien de les ajouter dans ma penderie ». Aurait-elle mal digéré le même repas que ma mère ?
Je commence à transpirer, car en y regardant de plus près, dans les cadres, il y a bien des photos : Matilda tendant à bout de bras un magnifique bar de quatre-vingts centimètres qui doit approcher les trois kilos, sur fond de rochers et mer en furie d’une crique finistérienne. Et celle-là : je suis sanglé à mon siège sur la plage arrière de ce bateau de pêche au gros, avec entre les mains un « moulinet » qui ressemble plus au tambour de ma machine à laver. Au bord de l’évanouissement, et pour me pincer, je descends à toute vitesse à la cave pour une visite de courtoisie à notre matos qui s’ennuie ferme sur ses racks. Il n’y a plus rien ! Les serrures et sécurités n’ont pourtant pas été forcées. J’hallucine ! Il y a des mâts rdm sur les racks, mais alors très très rdm : des cannes à pêche. De tous les diamètres. De plusieurs longueurs. Je reconnais les bacs qui nous servent à transporter ailerons, plaquettes, rallonges et combis, mais l’un est rempli de moulinets rutilants et l’autre de leurres multicolores. Avant de devenir fou, je file à la voiture car le matos est certainement dedans, attendant un hypothétique dé confinement.
C’est bien notre voiture, notre plaque, mais sur la lunette arrière, ces deux stickers me font grandement douter : Alaska : salmon paradise et l’autre : Bahamas : fish big or stay home. Pour en finir avant le pistolet sur la tempe, j’ouvre le hayon : double couchette, frigo, kitchenette et comble du luxe : un petit wc chimique. Même le dernier gun d’Aurelio Verdi pour Lüderitz ne rentrerait plus. Il faut que je touche quelque chose de bien réel avant de m’effondrer définitivement et, ne prenant pas le temps d’attendre l’ascenseur, je grimpe les marches de l’escalier de secours quatre à quatre vers les bras réconfortants de ma petite femme et…rate la dernière volée, ma tête heurtant violement un semblant de rampe.
« Il est déjà six heures, réveille-toi, on prévoit entre vingt et vingt-cinq nœuds de Sud-Ouest ».
Nous sommes le mercredi onze novembre. Il ne fait que cinq degrés, mais cela montera à huit vers quatorze heures avec un peu de soleil, mais quelques gouttes. Matilda est en congé aujourd’hui et on ne va pas faire les difficiles pour cette deuxième session de 2020, car depuis lundi, la frontière hollandaise est enfin rouverte.